Polonia en Douaisis
Merci à Michèle Camus pour cet article sur la Polonia
Polonia en Douaisis (1910-1939)
L'histoire du Bassin
minier du Nord-Pas de Calais est intimement liée à l'histoire de l'immigration.
Parmi les 29 nationalités venues travailler dans notre région durant toute la
période d'exploitation, les Polonais ont été les plus nombreux. On estime leur
nombre aujourd’hui à près de 500 000 personnes (soit un habitant sur huit du
Nord - Pas-de-Calais). Aujourd'hui mêlées à la culture locale, les traditions
polonaises sont encore très vivaces dans le Douaisis. A l’occasion du
centenaire de l’immigration polonaise, cet article retrace en sept chapitres,
l’histoire de la Polonia en Douaisis de 1910 à 1939. Sept chapitres qui se
déclinent comme un acrostiche de POLONIA.
Mais au fait, que signifie Polonia ? C’est le terme utilisé pour la
diaspora polonaise dans le monde.
P, de quelle Pologne parle-ton ?
De 1795 à 1918, la Pologne n'existait pas en tant qu'Etat. Le territoire a été
partagé entre les trois Empires : russe, autrichien et allemand et les polonais
disposaient de passeports russes, autrichiens ou allemands. Le 11 novembre
1918, l’état polonais est créé. Ses contours géographiques sont bien différents
de 1795.
Dans le Nord, les premières « colonies » ouvrières
polonaises se créent dès 1910. Les compagnies des mines d’Anzin et d’Aniche
recrutent des mineurs polonais sur recommandation du prince Witold Czatoryski,
actionnaire de ces sociétés. Ils viennent de Westphalie pour fuir la répression
des autorités prussiennes. Dans le Douaisis, ils s’installent en 1910 à
Lallaing (1 400 personnes) et Guesnain (900 personnes). A Auby, la Compagnie
royale Asturienne des Mines embauche vers 1910 des travailleurs métallurgistes
polonais de Sosnowiec (Empire russe).
O comme Ouvriers
1919. Notre Bassin Minier est en ruines. Il faut
reconstruire. Oui, mais la France manque de main d’œuvre ! L'Etat français
organise dès lors une immigration de masse avec l'Italie, la République
tchécoslovaque et la Pologne. La «
convention franco polonaise relative à l’émigration et l’immigration » est
signée à Varsovie le 3 septembre 1919.
Le recrutement de main-d'œuvre est collectif et massif. C'est
une immigration atypique, de type familial, méthodiquement organisée. Après une
sévère sélection sanitaire et professionnelle, les candidats au départ, étaient
munis d'un contrat-type de travail, et convenablement logés. Dans cette vague
d'émigration, les élites sont inexistantes. Ce déplacement de population porte
officiellement les Polonais de 10 000 en 1914 à plus de 500 000 en 1931 et fait
d'eux la deuxième nationalité étrangère en France après les Italiens.
Mais pourquoi quitter la Pologne ? En novembre 1918,
quand la Pologne retrouve son indépendance, c’est un territoire dévasté par la
guerre. Pour fuir le chômage et la misère, de 1919 jusqu’aux années 30, ce sont
plus de 200 000 polonais, qui viennent travailler dans le Nord-Pas de Calais,
essentiellement dans les mines.
Les premiers Polonais qui arrivent dès 1920 jusqu’en 1925,
sont les Westphaliens. Ce sont des mineurs expérimentés, bilingues
polonais-allemand, catholiques, instruits, recrutés directement en Allemagne
par des recruteurs français. Les conditions de travail et les rémunérations en
France sont moins bonnes qu’en Allemagne. Mais les émigrés peuvent ainsi
abandonner la nationalité allemande et prendre la nationalité polonaise, ne
plus devoir subir le « kulturkampf » (politique de germanisation). Entre
100 000 à 130 000 « Westphaliens » sont venus dans le Bassin
Minier, avec leur mobilier par des trains spéciaux, sans espoir de retour en
Allemagne. Ils ont replanté dans le Douaisis cette « polonité » associative
développée en Rhénanie-Westphalie. Ils sont « l'aristocratie » de
l'immigration.
Fin 1922, les Polonais de Pologne, arrivent en masse dans le
Douaisis. Ce sont des paysans pour la plupart. Ils proviennent essentiellement
de Poznanie, de Galicie et de la région industrielle de Lôdz. Pour être
recruté, l'essentiel est d'être jeune et en bonne santé. Lorsqu'ils ne
connaissent rien au métier, les arrivants polonais sont souvent affectés à des
postes subalternes mais ils disposent des mêmes droits que les ouvriers
français, à savoir des conditions de salaires et d'assistance égales. Si au
départ les hommes arrivent seuls, ils souhaitent rapidement être rejoints par
leur famille. Les compagnies ont l'obligation de contribuer à 60% des frais de
voyage de l'épouse et des enfants.
Conséquence immédiate de cet afflux de population : les
compagnies minières de l’Escarpelle et d’Aniche construisent des cités
minières. Ainsi par exemple à Douai (Frais Marais), Dechy, Waziers, Lallaing, Flers,
Auby, etc. Des industries comme les Engrais d’Auby, la Société Lorraine de
Carbonisation construisent des cités ouvrières à Auby. Les villes mais aussi
des entreprises comme la Compagnie des Mines d’Aniche construisent ou
agrandissent des écoles pour garçons et pour filles.
Ces premières générations créent des « Petites Polognes » au sein des cités
ouvrières. Ils sont avant tout polonais appelés à retourner au pays. Les
adultes n’apprennent pas le français ou juste le nécessaire pour le travail et
continuent à pratiquer leur langue en famille pour perpétuer le sentiment
national.
Photo : la cité minière de la Croix de Pierre à Dechy,
où s’installent les familles polonaises durant l’Entre-Deux-Guerres.
L comme Langue
Dès leur arrivée, les
enfants polonais fréquentent les écoles françaises. Suite au demande de leurs
familles, pour ne pas perdre leurs racines, des instituteurs polonais leur
enseignent le polonais. En 1930, l'enseignement de la langue, de l'histoire et
de la géographie polonaises dans le Nord était assuré par 17 instituteurs
(recrutés par les compagnies minières), 13 instructeurs des cours du jeudi
(bénévoles des associations polonaises) et 7 responsables de garderie.
Photo Ecole à
Lallaing. Légende : Cette photo représente
certainement la première école polonaise en France en 1910 à Lallaing. Elle provient
des archives de l'association historique locale de Lallaing. La majorité de ces familles polonaises
arrivées de Westphalie, disposaient d’un passeport allemand. Quelques soixante enfants sont regroupés
autour de leur institutrice au centre : Domicella Szmidowna.
O comme Ostracisme
Être frappé d'ostracisme. Ce terme est adéquat pour décrire les sombres années
30.
La récession frappe de plein fouet l’économie française. Elle plonge les
immigrés polonais dans l’incertitude. C’est l’époque des retours forcés au pays
imposés par l’État, qui cède aux sirènes xénophobes d’une partie de sa
population. Dans les années trente, confrontée au chômage, la France renvoie
des familles entières des cités minières avec 48 heures pour rassembler 30
kilos de bagages par personne et se présenter à la gare. De 1931 à 1936, des
milliers de Polonais quittent le Bassin Minier contre leur gré. Le Front
populaire offre une accalmie de courte durée en 1936. Puis la guerre éclate.
Photo : Expulsion. En août 1934, pour avoir débrayé au fond d’un
puits de mine à Leforest, 77 mineurs font l’objet d’un décret d’expulsion.
Parmi eux Edward Gierek, communiste, qui présidera de 1970 à 1980 aux destinées
de la Pologne populaire … Cette photo a été prise en 1934 lors des expulsions
par une agence de presse parisienne à la fosse de Leforest, qui dépendait de la
Compagnie des Mines de l’Escarpelle. Leurs bureaux de direction étaient situés
à Pont-De-La-Deûle.
N comme Nation
La tradition en Pologne est d’associer Dieu et la Nation (Bóg i
Ojczyzna). Le prêtre polonais maintient la tradition et place les foyers
polonais sous la protection de la Vierge. Il est respecté, écouté. En France, il
a un statut d’aumônier, dépendant du curé français du lieu. Car l’église de
France refuse l’existence de paroisses étrangères.
Les compagnies minières
encouragent la pratique religieuse. A Waziers, la Compagnie des Mines d’Aniche
fait construire l’église Notre Dame des Mineurs en 1927. A côté de l’église,
sont bâtis les deux presbytères : le français et le polonais !
A Auby, on crée dès 1923, le centre pastoral polonais. Son territoire couvre
les différentes fosses exploitées par la Compagnie des Mines de l’Escarpelle.
Il englobe Auby, Flers et les quartiers de Pont-de-La-Deûle et Villers,
Douai-Dorignies, Roost Warendin ainsi que Leforest et Courcelles dans le
Pas-de-Calais
Photo Vierge noire et intérieur ND. Légendes : Mosaïques
de la Vierge Noire de Czestochova, sainte patronne de la Pologne à Notre Dame
des Mineurs à Waziers. Son architecte est le célèbre Louis-Marie Cordonnier,
qui a réalisé durant l’Entre-Deux-Guerres d’autres édifices dans l’esprit
régionaliste et Art Déco tels que l’église de Bailleul (l’église jumelle de
celle de Waziers) et les Grands Bureaux de la Société des Mines de Lens. Le
plafond et la nefde Notre-Dame évoquent les galeries minières et leurs
soutènements. Ce qui frappe : de grands lustres en forme de roues et les rubans
qui décorent l’église comme en Pologne. Bleu-blanc-rouge = la France. Rouge et
blanc = la Pologne. Bleu et blanc = la Sainte Vierge, jaune et blanc = le
Vatican.
En 1926, les Polonais représentent plus de 75 % de la population de la cité,
qui est de 1 725 habitants. Un peu plus de 8 % sont Français, près de 5 %
Italiens. Belges, Allemands, Hongrois, Espagnols, Tchécoslovaques sont aussi
représentés.
I comme Identité
Pour préserver leur identité, les
polonais encouragent la vie associative uniquement polonaise : sportive avec
les sokols, folklorique, religieuse, musicale, théâtrale... qui organise fêtes
et rencontres. Les statuts prévoient que seuls les citoyens polonais ont le
droit d’en être membres. Un grand nombre de ces associations vont évoluer dans
leurs statuts et perdurer. Certaines ont fêté ou vont fêter leur centenaire
comme l’association Sainte Barbe des mineurs catholiques polonais créée en 1923
à Auby.
Photo. Dans les années 1930, le cercle
de musique Chopin est très actif dans le quartier des Asturies à Auby. Il
possède également une section théâtre.
A comme Associations
"Les traditions
sont la mémoire des racines d'un peuple" lit-on dans l’ouvrage : « De
la Krucjata à Polonia Douai ». L’association Polonia Douai est née en
1988. Mais avant cela, les rencontres du KSMP à Waziers (jeunesse catholique
polonaise) avaient lieu bien avant 1940. Aujourd’hui Polonia Douai, donne des spectacles,
en France et à l'étranger, pour le plaisir de partager sa passion avec le
public. Quel parcours avec à leur actif : plus de 800 costumes et une
centaine d’adhérents !
Autre association qui porte haut et fort le Douaisis : le chœur des
mineurs polonais. En 1921, la chorale Lutnia est créée à Dechy puis en 1927 la
chorale Dzwon Zygmuntia à Waziers. Ces deux chorales fusionnent en 1947, pour
créer à Douai une chorale formée exclusivement à l’époque d’hommes :
mineurs et polonais. Aujourd’hui, c’est une rareté de trouver un chœur d’hommes
bientôt centenaire, qui chante à la fois des chants polonais, français et en
d’autres langues.
Le centenaire de l’immigration polonaise
a démarré en 2019 et se poursuit jusqu’en 2023. Il révèle l’intérêt qu’ont les
nordistes pour leurs racines, toutes origines confondues ! Pour s’informer des
événements à venir : visites guidées, spectacles, conférences et autres
animations, vous pouvez consulter les sites de Douaisis Tourisme et Polonia
Hauts-de-France.
Michèle Camus, Guide conférencière
Deux témoignes dans cet encart. Le premier provient
d’ateliers d’écriture organisés en 2012 à Auby avec ce texte de Bertrand Foly.
Le second témoignage date de 2020. Il souligne combien la musique est une composante
majeure de l’identité culturelle polonaise.
S’instruire
Sitôt après mon Certificat d'études je suis allé me faire embaucher à la fosse.
Je voulais continuer à m'instruire, mais c'était la crise, en 1931, une rude,
pire que maintenant, mes parents devaient nourrir tous leurs enfants.
Je suis allé aux cours du soir,
place Carnot, à Douai, à vélo, après le boulot. J'étais crevé. À l'occasion je
m'endormais.
-
Mrorzek (prononcer
Mrogek ) ! Tu t'endors ? a dit le professeur.
-
Je suis fatigué.
-
Qu'est-ce que vous
faites ?
-
Je me lève à 5h du
matin pour aller travailler. Je commence à 6h et je fini à 4h. J'ai pas
beaucoup de temps pour me reposer.
-
C'est malheureux,
c'est honteux de voir ça. Vous êtes pourtant un bon élève.
J'étais dans les premiers, mais
j'ai dû abandonner, ou bien je serais mort.
Témoignage de Yolande Lewalski à
Auby : « ma mère me racontait qu’à la cité du moulin dans les années 1930,
il arrivait que spontanément, des musiciens se retrouvent pour jouer ensemble
le soir dans la rue. Il y avait de gros platanes à l’époque dans les rues.
C’était le plus souvent des musiciens polonais et italiens : ils jouaient de la
guitare, de l’accordéon et de la mandoline ».
Petit échantillon de la littérature que vous pouvez lire sur la Polonia,
avec notamment un éditeur nordiste : Nord Avril, spécialisé sur ce
sujet ! N’hésitez pas à emprunter ces livres. Vous les trouvez pour la
plupart dans les bibliothèques et médiathèques du Douaisis.
Dans le Bassin Minier, il est d’usage de retrouver des
desserts polonais dans nos boulangeries-pâtisseries. Le placek aux pommes ou
aux abricots est ainsi très familier des habitants du Douaisis !
Tenté par une recette ? Voici celle du placek aux abricots.
- Faire tiédir la moitié d'un verre de lait (80 ml) et y
diluer 5 g de levure instantanée. Laisser reposer 15 minutes.
- Dans le bol du robot, pétrir 300 g de farine avec 100 g de
sucre poudre, 1 sachet de sucre vanillé, 2 œufs. Verser le lait-levure.
- Ajouter 50 g de beurre doux en petits morceaux et continuer
de pétrir 10 minutes.
- Laissez lever directement la pâte dans un moule pendant 1
heure.
- Insérer des oreillons d'abricots en appuyant légèrement
dessus.
- Déposer au-dessus du gâteau un crumble. Recette du crumble
: mélanger avec mains 50 g de farine avec 50 g de sucre poudre et 40 g de
beurre afin d'en faire des gros grains de sable.
- Enfourner à 180 degrés pendant 35/40 minutes.
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