Soldats ? Oui, mais dans quelle armée ?

 Une des obligations qu'avaient nos candidats à l'émigration, hormis d'être de bonne constitution et de bonnes moeurs, était, pour les hommes d'être en règle vis à vis du service militaire.

Il y a cent ans, au moment où nos grands parents prenaient le chemin de la France, la Pologne venait tout juste de renaître de ses cendres à l'issue de la Première Guerre Mondiale.

Durant près de 125 années, le pays n'a plus existé, partagé entre l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et la Russie. Les polonais, suivant la région où ils vivaient ont servi l'une ou l'autre de ces armées, surtout s'ils étaient nés avant 1899 . Durant le conflit, se trouvant dans des camps opposés, ils se sont même combattus entre frères.

Les trois Empires

L'Autriche- Hongrie

La conscription militaire obligatoire date de 1868 dans l'Empire Austro-Hongrois et concerne tous les jeunes hommes âgés de 21 ans.

Le service actif dure quatre ans (21-24 ans), puis huit ans dans la réserve (24-32ans). Ensuite, de 32 à 34 ans, l'individu effectue deux années dans l'armée territoriale (Landwehr) et enfin jusqu'à ses 42 ans, il peut être appelé au sein de la milice territoriale ( Landsturm).



Les corps francs Krakus

Une des particularité de l'Empire austro-hongrois est l'autonomie laissée à la mosaïque de peuples qui la composaient. Ainsi, il existait au sein de la cavalerie, une unité de volontaires galiciens qui servaient dans les Freiwillige Krakusen (corps francs Krakus). Les Krakus étaient déjà une unité militaire redoutée du temps de l'Empire napoléonien.

Krakus

L'Allemagne


La conscription obligatoire pour tous les hommes de 20 ans est imposée l'année de la création de l'Empire Allemand, en 1870 (avant cette date, les parties polonaises dites allemandes faisaient partie du Royaume de Prusse).

Le service actif dure trois années (21-23 ans), puis le soldat passe dans la réserve durant quatre ans (23-27ans).

Fantassins en tenue de travail

Le temps au service du pays était très long, puisqu'au sortir de la réserve, l'individu était affecté durant douze années dans la Landwehr (27-39 ans) puis encore dix année dans la Landsturm, ce qui le dégageait des obligations militaires à l'âge de 49 ans.


Livret militaire allemand

La Russie


L'Empire russe n'impose la conscription obligatoire qu'en 1873, celle-ci touche les jeunes hommes de 21 ans.
Néanmoins le temps de service dépend du degré d'instruction le l'individu, tout le monde n'est pas égal face à ses obligations de servir le pays.
L'individu ayant une éducation supérieure n'effectuait qu'une année de service actif; celui qui avait une éducation secondaire deux années.
Une éducation primaire lui valait quatre années et aucune instruction, six années.
A la fin du service actif, chaque citoyen devait encore neuf années à l'Empire dans la réserve.


Contrairement à ses voisins, la Russie avait une politique anti-territorialiste et concernant les conscrits polonais, seuls 11% servaient dans leur région d'origine, la plupart du temps, ils servaient dans les confins orientaux de l'empire.

Les fils uniques et les soutien de famille étaient exemptés de service militaire.


Livret militaire russe

La Première Guerre Mondiale

Nous pourrions croire que la situation est simple : les polonais de la zone allemande dans l'armée allemande, ceux de Galicie dans les rangs austo-hongrois et, ensembles ils vont se battre contre les russes qui comptent dans leurs régiments, des polonais du Royaume de Pologne (nom donné à la partie polonaise sous occupation russe). Hé bien, vous allez voir que tout n'est pas si simple.....

Non seulement, chacun des trois empire va tenter de jouer sur la fibre patriotique polonaise en créant des unités composées de polonais avec promesses d'autonomie voir d'indépendance à l'issue du conflit; mais des polonais expatriés vont s'engager dans le conflit au sein d'autres unités.

Autriche-hongrie : les Légions polonaises (Legiony)


Tract de recrutement pour les Légions

Les légions Polonaises (Legiony Polskie) sont le nom des forces armées polonaises créées dans la province de Galicie en août 1914. Grâce aux efforts conjoints du Comité pour l'indépendance de la Pologne et des députés polonais du Parlement autrichien, ces unités devinrent une formation indépendante au sein de l'armée Austro-hongroise. Elles étaient constituées d'anciens scouts, de membres d'associations de tireurs ou chasseurs, aussi bien que de volontaires de tout l'Empire.
 
Józef Piłsudski déclara la naissance des Légions dès le 22 août 1914, mais le gouvernement Autrichien ne les rendit officielles que le 27.



 A l'origine, les Légions Polonaises étaient composées de deux fomations : la Légion de l'Ouest et celle de l'Est, toutes deux formées le 27 août .Après la victoire russe dans la Bataille de Galicie, la Légion Polonaise Orientale refusa de combattre contre les russes et fut dissoute le 21 septembre . Le 19 décembre, la Légion Occidentale fut divisée en trois brigades.
Uhlans des Légions appelés Beliniacy

Les Légions prirent part à de nombreuses batailles contre les forces de l'Empire Russe, tant en Galicie que dans les Carpathes . Le nombre d'engagés et la composition des unités changèrent rapidement, notamment après la démission de Pilsudski en septembre 1916 . Les Légions Polonaises furent rebaptisée Corps Auxiliaire Polonais (Polski Korpus Posilkowy). En juin 1916, l'unité comptait environ 25 000 soldats.
Après l'Acte du 5 novembre 1916 qui proclamait la création d'un Royaume de Pologne fantoche, les Légions furent transférées sous le commandement allemand .Cependant, beaucoup de légionnaires refusèrent de faire allégeance à l'Empereur et furent internés à Benjaminow et Szczypiorno. Près de 3000 furent enrôlés dans l'armée austro-hongroise ou dans la Polnische Wehrmacht allemande et furent envoyés sur le front italien . Tandis qu'environ 7 500 restèrent dans les Corps Auxiliaires Polonais de l'armée autrichienne.


Allemagne - Polnische Wehrmacht  (Polska Siła Zbrojna )

Cette Polnische Wehrmacht a vu le jour officiellement le 1er mai 1917.
Ce processus a commencé par l'acte du 5 novembre 1916, dans lequel - au nom des empereurs Guillaume II et François-Joseph - les autorités d'occupation ont annoncé la résurrection du Royaume de Pologne. Quatre jours après la proclamation, le gouverneur général Hans Hartwig von Beseler lance un "Appel aux armes !", confirmant dans celui-ci la volonté de créer un nouvel État polonais, doté temporairement d'un gouvernement contrôlé par l'Allemagne, mais avec sa propre armée pour se défendre contre la Russie. 
Affiche de recrutement pour la Polnische Wehrmacht

Cette proclamation devait attirer des foules de volontaires vers les points de recrutement. Il était supposé qu'en six mois, trois divisions d'environ 36 000 soldats seraient créées. De cette manière, des "forces armées polonaises" devaient être créées.

Tenues de la Polnische Wehrmacht

Russie - Légion Pulawski ou 1er Corps polonais

La Légion Pulawski aussi appelée 1ère Légion, a été crée en août 1914 à l'initiative du Grand duc Nicolas Nicolaïevitch, qui souhaitait une réunification de la Pologne sous le sceptre russe mais aussi rallier les polonais des territoires autrichiens et allemands pour combattre aux côtés du Tsar contre les troupes du Kaiser et de l'empereur d'Autriche.

Affiche de recrutement

Les volontaires étaient au nombre de 1000 en janvier 1915 (pour 800 fusils), sous équipés.....
L'uniforme était celui des armées du Tsar avec au départ une seul distinction au niveau des pattes d'épaule : les lettres 1LP (Légion Pulawski)



La Légion Pulawski fut dissoute en octobre 1915, les prisonniers polonais de l'armée austro-hongroise ne voulaient pas s'y engager, refusant le mépris des officiers russes à l'encontre des polonais.
Le gros des troupes de la 1LP intégra les brigades de Chasseurs Polonais.
En 1916, les deux unités de cavalerie formèrent le 1er régiment de Uhlans .

Uniformes de uhlans 

France - Les Bayonnais (Bajonczycy)

Le déclenchement de la guerre en 1914 a fait naître l'espoir chez un certain nombre de Polonais émigrés en France, d'une renaissance de la Pologne.


Bien que la France fut une alliée de la Russie tsariste, des centaines d'émigrés polonais, pour la plupart ouvriers mineurs dans le Nord-Pas-de-Calais, commerçants ou intellectuels installés à Paris, ont rallié dès août 1914 le Comité des volontaires polonais créé à Paris et se sont engagés dans la Légion étrangère pour combattre contre les Empires allemand et austro-hongrois.

Bayonnais et leur étendard

Ils ont reçu une instruction militaire ( un contingent à Bayonne, un autre à Paris à la caserne Reuilly ), ont été équipés et armés, puis ils ont été intégrés dans les 2ème et 3ème Régiments de marche du 1er Régiment étranger.
Ils sont montés au front au printemps 1915 et ont été engagés en Champagne et en Picardie, puis en Artois.


France - l'Armée polonaise en France (Hallerczycy)

L'Amée bleue de Haller
Affiches de recrutement : américaine et française

Parce que la France ne voulait pas déplaire à son alliée russe, les démarches entreprises par les patriotes polonais pour obtenir une reconnaissance de la spécificité polonaise n'aboutirent qu'après la chute du tsarisme soit en 1917.
C'est par un arrêté présidentiel du 4 juin 1917, qu'une armée polonaise a été officiellement créée en France.
En janvier 1918 a été constitué le 1er Régiment de chasseurs polonais, grossi par l'arrivée de volontaires polonais venus des Etats-Unis, et l'enrôlement de 1 500 prisonniers de guerre allemands d'origine polonaise.
Jan Obierek, volontaire américain et son acte d'engagement.

Le 27 février 1918, le 1er régiment de chasseurs polonais est venu s'installer dans le Camp de Mailly dans l'Aube, où il fut passé en revue par le général FRANCHET D'ESPEREY avant d'être affecté à la 163ème Division d'infanterie, au sein de la IVème Armée commandée par le général GOURAUD.
Le 22 juin 1918, le président de la République, Raymond POINCARE, a remis leurs drapeaux nationaux aux unités polonaises du Camp de Mailly.


Devant l'afflux de nouveaux volontaires, furent créée les 1ère et 2ème Divisions d'infanterie polonaises qui formèrent l'Armée polonaise en France. Placée sous le commandement du 
général HALLER, elle a été engagée en Champagne en septembre 1918, puis dans les Vosges et en Lorraine.



Défilé 14 juillet 1918

Défilé du 14 juillet 1919 à Paris

Le 11 novembre 1918, le jour-même de l'armistice, l'indépendance de la Pologne fut proclamée, et le maréchal PILSUDSKI, chef de l'Etat polonais, demanda le rapatriement en Pologne de l'Armée polonaise.
En 1920-1921, de nombreux officiers français apportèrent leur soutien à l'armée polonaise engagée contre l'Armée rouge.

Armée de l'Insurrection de Grande Pologne (Armia Wielkopolska)

À l'automne de 1918, la défaite de l'armée allemande sur le front occidental, enflamme le cœur des Polonais. Après l'abdication, le 9 novembre1918, de l'empereur Guillaume II, qui marque la fin de la monarchie allemande et le début de la République de Weimar, les Polonais se préparent activement au soulèvement.


L'insurrection éclate à Poznań, le 27 décembre, après un discours patriotique du célèbre pianiste Ignacy Paderewski.


Outre de nombreux volontaires, principalement des anciens combattants de la Première Guerre mondiale, les forces insurrectionnelles intègrent des membres de la secrète Organisation militaire polonaise, créée par Józef Piłsudski en août 1914, qui devient la Straż Obywatelska (Garde citoyenne), rebaptisée par la suite que Straż Ludowa (Garde populaire).


Les membres du
 Naczelna Rada Ludowa (Haut Conseil de la population) sont d'abord opposés à l'insurrection, mais dès le 3 janvier 1919 ils changent d'avis et la soutiennent officiellement les 8 et 9 janvier 1919.

Le moment de la révolte est fortuit. Entre octobre 1918 et les premiers mois de 1919, des conflits internes affaiblissent l'Allemagne. Des soldats et des marins se rebellent contre la monarchie et ses généraux belliqueux. Démoralisée par la signature de l'armistice, le 11 novembre 1918, toute l'Allemagne est impliquée dans la Révolution allemande.


Le 15, les forces rebelles polonaises contrôlent presque entièrement la province de Poznań, et engagent des combats contre l'armée régulière allemande et les forces de la Grenzschutz, jusqu'au renouvellement de la trêve entre l'Entente et l'Allemagne, le 16 février. Les accrochages continuent cependant jusqu'à la signature du traité de Versailles, le 28 juin 1919.

La Marseillaise de Grande Pologne

La Pologne indépendante

C'est de tout ce qui a été cité précédemment que s'est constituée l'armée nationale polonaise. Il fallait unifier les pratiques et traditions issues des trois empires ou de l'instruction militaire à la française. 

Il fallait se choisir un uniforme national, jusque vers 1920, on trouvait encore toutes les couleurs du bleu horizon de l'armée de Haller, au kaki en passant par le Feldgrau allemand des troupes de la Grande Pologne.

L'armée polonaise était comme toutes les armées de son époque : infanterie, cavalerie, artillerie, blindés, gardes frontières, marine et forces aériennes.

A noter que l'arme la plus prestigieuse à l'époque, car encore auréolée des exploits des hussards ailés et des cheveau-légers polonais de l'Empire était la cavalerie.

Le service militaire sous la Deuxième République (1919-1939)

Livret militaire des années 1920 (celui de mon grand oncle)


L'armée polonaise était une armée démocratique. Le devoir et l'honneur de servir dans l'armée étaient le privilège de tout citoyen sans distinction de confession, d'origine nationale et de classe sociale.

Le service militaire étant un honneur, en étaient exclus les condamnés à des peines de prison de plus de deux ans, ou plus de trois mois en cas de délits infamants.
Le service militaire se divisait en service actif, service dans la première réserve, service dans la deuxième réserve, service auxiliaire.
On pouvait être appelé sous les drapeaux à partir du 1er janvier de l'année au cours de laquelle on atteignait 21 ans. Pour les jeunes gens ayant terminé leurs études secondaires avant l'âge de 21 ans, l'appel pouvait être immédiat. Les jeunes gens pouvaient se présenter comme volontaires lorsqu'ils étaient âgés de 18 à 20 ans; ils acquéraient alors le droit de choisir l'arme dans laquelle ils allaient servir.
En cas de mobilisation et en temps de guerre, on pouvait être appelé à partir de 18 ans révolus.

Cavalerie : Uhlan, Cheveau-léger et Chasseur à cheval


a) .. Le service actif :
- La loi fixait à deux ans la durée du service actif dans les diverses armes des forces de terre autres que la cavalerie et l'artillerie qui en faisaient partie. Dans ces dernières, la durée du service était fixée à 25 mois; dans la marine de guerre à 27 mois. Cependant le ministre des affaires militaires avait le droit de libérer les hommes avant l'écoulement du temps légal, de sorte que, pratiquement, le service actif durait environ 18 mois.
Les volontaires ainsi que les jeunes gens ayant leur baccalauréat avaient droit à une réduction de la durée du service actif (12 à 15 mois de service).
Les personnes qui n'avaient pas fait au moins 5 mois de service actif étaient astreintes à un service en tenant lieu et consistant à travailler pour la défense nationale 6 jours par an, pendant 5 ans. Ces personnes étaient : les recrues en surnombre versées directement dans la réserve; les hommes que le Conseil de révision avait reconnus bons seulement pour la deuxième réserve; les soutient de famille et les possesseurs de propriétés agricoles acquises par héritage exemptés partiellement ou totalement du service actif.

Infanterie

b) .. Le service dans la première et dans la deuxième réserve :
- On passait directement du service actif au service dans la première réserve qui durait pour la troupe jusqu'à l'âge de 40 ans, pour les officiers jusqu'à l'âge de 50 ans. Les soldats de la première réserve étaient astreints à des exercices ordinaires, extraordinaires et périodiques. Au total les exercices duraient 24 semaines pour les soldats, 30 semaines pour les sous-officiers et 48 semaines pour les officiers. La durée d'une période ne pouvant dépasser 6 semaines pour les sous-officiers et soldats et 8 semaines pour les officiers.
Servaient dans la deuxième réserve tous ceux qui avaient terminé leur service dans la première réserve ainsi que ceux qui, de par la loi, avaient été versés directement dans la deuxième réserve par le conseil de révision. Ce service durait pour la troupe jusqu'à l'âge de 50 ans et jusqu'à l'âge de 60 ans pour les officiers. Il consistait en des exercices périodiques d'une durée maximum de 3 semaines et en des exercices extraordinaires de 3 jours. Au total, les exercices ne pouvaient dépasser 5 mois.
Les soldats qui avaient fait toutes les périodes réglementaires dans la première réserve étaient exemptés des exercices périodiques dans la deuxième réserve.

Troupes de montagne : deux chasseurs Podhales et un chasseur Hucul


c) .. Le service auxiliaire :
- Etaient astreints au service auxiliaire tous les hommes âgés de 18 à 60 ans totalement exemptés du service militaire ainsi que les sous-officiers et soldats après leur service dans la deuxième réserve, c'est-à-dire entre 50 et 60 ans.
Le service auxiliaire consistait en des exercices et des cours préparatoires du domaine de la défense antiaérienne, de la défense contre les gaz, du domaine sanitaire, etc. Les hommes du service auxiliaire n'étaient appelés qu'en cas de mobilisation ou de guerre, ou lorsque les besoins de la défense nationale l'exigeaient.
Les femmes âgées de 19 à 45 ans pouvaient s'engager dans le service auxiliaire en qualité de volontaires.

Przysiega wojskowa : la prestation de serment

Un marin et un pilote

Conclusion

Nous venons de faire un tour d'horizon de toutes les forces armées dans lesquels auraient pu servir nos polonais arrivés en France jusque vers 1939. Disons que nous avons vu l'essentiel...
Et, si vous pensez que c'est compliqué, dites vous bien que ce n'est rien à côté de ce qu'ils nous ont fait pendant la Seconde Guerre Mondiale.... mais c'est une autre histoire !

André Szczerba

Sources :  Site sur l'armée polonaise que j'avais réalisé il y a une dizaine d'années, Wikipedia, Youtube, 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

De Myslowice à Toul

Les Polonais, libérateurs oubliés de la Somme et du Nord-Pas de Calais .

Les expulsés du 11 août 1934