Main d'œuvre agricole

Recruter des ouvriers polonais avant la 1ère guerre, revenait à faire appel tantôt à des sujets allemands ou autrichiens, tantôt à des sujets russes. La politique des forces occupantes et une très forte natalité augmentèrent la misère obligeant les paysans à chercher du travail ailleurs. Si un grand nombre émigrait vers les Amériques, certains partaient alors «na Saksy» (en Saxe) dans les régions de culture betteravière. Mais les autorités allemandes germanisaient les zones polonaises qu’elles contrôlaient, forçant les Polonais à apprendre l’Allemand. Cette mesure déclencha un mouvement d’hostilité remettant en question les migrations vers la Saxe. 

Moissons

Les premières initiatives viennent du secteur privé : la "Société polonaise d’Emigration" située à Cracovie en Galicie autrichienne, recommande comme destination la France, "pays des libertéset ouvre un bureau à Soissons, puis à Nancy, avec une succursale à Paris. Il ne s’agit encore que d’ouvriers saisonniers à qui l’on fait signer un contrat pour les mois d’avril à octobre et qui arrivent groupés, encadrés.

Contrat de travail Franco-Autrichien (1908)

En 1908, les premiers Polonais arrivèrent et furent dirigés vers les exploitations de l’Est et la Picardie. Ils étaient tous d’origine paysanne, puisque seuls pouvaient être salariés agricoles ceux qui travaillaient dans l’agriculture. Un premier convoi de 570 travailleurs agricoles part pour Nancy en 1907-1908 ; 10 000 Polonais seraient ainsi venus en France jusqu'en 1914.

Travaux aux champs

La situation héritée en 1919 par la nouvelle Pologne était catastrophique. Tous les hommes réclamaient du travail. L’industrie ravagée par la guerre, les villes surpeuplées et les campagnes appauvries ne pouvaient leur en offrir.
Le 3 septembre 1919, la Pologne signa une convention avec la France pour l’organisation des migrations en direction de l’agriculture française. Arrêtés pendant la 1ère guerre, les départs vers l’Hexagone reprirent dès 1921. 3600 Polonais arrivèrent pour les travaux agricoles et en 1923, ils étaient 25 800 dont un tiers en moyenne était des femmes.

Récolte pommes de terre

C’est la Confédération générale des Associations agricoles des régions dévastées (C. A. R. D.), créée en 1920, qui a pour mission de procurer aux agriculteurs français qui en font la demande, des ouvriers agricoles polonais.

La C. A. R. D. est en mesure de procurer non seulement des ouvriers agricoles, mais encore des artisans, maçons, forgerons, menuisiers, charrons, etc., et aussi des ouvriers non agricoles; terrassiers, ouvriers d'industrie, cuisinières, femme de chambre, valets de chambre, etc….

Les ouvriers agricoles qui demandent à venir travailler en France ne sont acceptés que s'ils fournissent des références sérieuses. Ils ne sont embarqués et dirigés sur le centre de Toul qu'après un examen médical sévère : c'est grâce à ce travail de sélection préalable que la main d'œuvre peut donner entière satisfaction ( voir articles "De Myslowice à Toul" et "Ceux qui sont venus par la mer..." )

Contrat et passeport de Pstrag Franciszek (Archives du Pas de Calais)

Un agriculteur désirant recruter un ouvrier agricole polonais doit remplir, en 3 exemplaires, un contrat écrit à la fois en français et en polonais dont nous reproduirons le texte dans la suite. Les 3 exemplaires du contrat sont destinés un à la C. A. R.D., un à l'employeur, un à l’employé.

Contrat agricole type 1927

Ils doivent être signés par le demandeur, légalisés par le maire de la commune et indiquer très exactement la nature du travail que l'ouvrier devra être apte à exécuter, ainsi que la durée du contrat et le salaire qui lui est offert.

Tiré du Cultivateur Aveyronnais de 1923, un mode d'emploi pour embauche 
d'un ouvrier polonais, modèle de certificat pour faire venir la famille et base salariale.

En six ans, de 1920 à 1925 inclus, 72 000 ouvriers agricoles polonais entrent officiellement en France, soit un tiers de tous ceux qui arrivent (les deux autres tiers sont affectés aux mines ou à l’industrie lourde). Or le recensement général de la population de 1926 n’en totalise que 28 000, soit une énorme déperdition, liée à une mobilité incessante.

L'écho des syndicats agricoles du Nord -1938
Demandes d'emploi, presque toutes polonaises

Répartis sur presque tout le territoire, des régions de grande culture comme le Soissonnais aux terres pauvres du Massif central, leur vie est si pénible que, le contrat d’un an honoré, beaucoup se dirigent vers une des petites Pologne minières où, après l’isolement et les horaires infernaux qu’ils ont connu à la campagne, règne une atmosphère chaleureuse, de meilleurs salaires et des horaires fixes. Il faut donc sans cesse poursuivre le recrutement.

Moissons- Pas en Artois - 1942

Comme mentionné un peu plus haut, près d’un tiers de cette main d’œuvre agricole était constituée de femmes, les polonaises ont bonne réputation, elles sont robustes et efficaces mais surtout elles coûtent moins cher qu’un homme même si elles abattent un travail équivalent.

De toute façon, la loi française interdit le travail au fond de la mine pour les femmes qui sont tout au plus affectées au triage. Alors il reste les boulots dans l’agriculture, servante de ferme, etc…

Des mères de famille laissaient leurs enfants au pays, pour un an ou plus, afin de gagner de quoi les faire vivre grâce à l’envoi de mandats. D’autres signaient avec leur mari un contrat double, vacher et vachère par exemple : le couple était alors employé dans une grande exploitation.

Femme aux champs

Pour les filles parties seules et employées dans de petites exploitations, la situation pouvait devenir désastreuses si elles se trouvaient face à des patrons trop autoritaires (brimades, abus, viols, etc..).

Au bout de quelques années, s'ils n'ont pas décidés de repartir au pays, beaucoup de ces travailleurs agricoles se sont installés sur leur propre lopin de terre et se sont intégrés.

Chant traditionnel des moissons (Pologne)

Cette immigration agricole a perduré, de manière saisonnière certes jusqu'à nos jours (les jours d'avant COVID bien sûr), car bon nombre de polonais venaient pour les récoltes fruitières et les vendanges en France.

André Szczerba


Sources : l'Agriculteur de l'Aisne, Le Cultivateur Aveyronnais, Musée le l'histoire de l'immigration, Polonais méconnus, Janine Ponty.

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